
Le mois de janvier, avec ses journées courtes et son froid mordant, marque souvent une période où l’inconfort semble inévitable. Après l’effervescence des fêtes, l’hiver s’installe véritablement, nous confrontant à des défis physiques. Ces changements nécessitent une réelle capacité d’adaptation pour chacun. Comme nous n’avons pas le choix de faire face à ces changements, il devient naturel de trouver des stratégies d’adaptation pour braver ce froid intense. Nous privilégions les vêtements chauds, faisons des feux, buvons des boissons chaudes, ou encore nous nous permettons de ralentir.
Pourtant, lorsqu’il est question de notre bien-être émotionnel, il devient plus fréquent de minimiser nos inconforts : fatigue accrue, manque de motivation, et parfois un sentiment d’isolement, par peur de déranger, de se plaindre, ou pour rester « positifs ». Nous avons tous déjà pensé ou dit : « Non mais ça pourrait être pire », « Je suis désolé.e, je ne sais pas pourquoi je me plains », « Allez, sois positif.ve, ce n’est pas grave ! ».
Tout comme l’inconfort de l’hiver, nous n’avons parfois pas d’autre choix que de faire face à certains inconforts dans nos vies. Et pourtant, malgré tous nos efforts pour les ignorer, nous passons 47 % de notre temps à ruminer nos pensées (Killingsworth et Gilbert, 2010). Comment, alors, trouver des moyens alternatifs pour s’adapter avec bienveillance ?
Qu’entendons-nous par « inconfort » ?
L’inconfort est souvent associé au stress et à l’anxiété, mais ses sources sont multiples. Il peut découler de la culpabilité liée à certains choix, comportements ou réactions passés ou présents ; des peurs que nous portons, notamment celles de décevoir, d’être rejeté.e, trahi.e ou abandonné.e ; de la pression que nous nous imposons en raison de nos standards personnels ou des attentes sociales ou encore des deuils que nous vivons au fil de notre existence. L’inconfort fait donc partie intégrante de l’expérience humaine.
Jon Kabat-Zinn, pionnier de la pleine conscience et créateur du MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction), explique que l’inconfort provient du désir que les choses se déroulent selon nos attentes. Lorsque les événements correspondent à nos prévisions, nous nous sentons bien et « heureux.ses ». En revanche, quand les choses ne se déroulent pas comme prévu, nous ressentons contrariété, frustration, blessure et malheur. C’est cette dissonance qui est à l’origine de l’inconfort et de la souffrance.
Pourquoi entretenons-nous un rapport d’aversion à l’inconfort ?
Nous avons souvent des idées préconçues sur la manière de vivre nos expériences émotionnelles. Par exemple, on associe parfois les émotions inconfortables à la faiblesse. Nous préférons être « forts » plutôt que « faibles » face à l’inconfort. Kristin Neff, pionnière de l’autocompassion en psychologie, rappelle cependant que la véritable force réside dans notre capacité à faire preuve de compassion envers nous-mêmes, même dans les moments de vulnérabilité. Reconnaître et accueillir nos émotions difficiles avec bienveillance est en réalité un acte de courage, et non de faiblesse.
On a également tendance à croire que pour atteindre le bonheur, il faut rester positif en tout temps. Vivre des émotions inconfortables semble alors incompatible avec notre image du bonheur. Jon Kabat-Zinn souligne pourtant que le bonheur ne consiste pas à éviter les difficultés émotionnelles, mais à être présent avec tout ce qui émerge. Chercher à se débarrasser des émotions inconfortables ne fait souvent qu’aggraver la souffrance. Le bonheur ne vient pas de l’élimination des émotions difficiles, mais de leur acceptation bienveillante et légitime.
Il est aussi fréquent de se sentir en échec face à nos tentatives de « régulation » émotionnelle. On pense parfois que suivre toutes les étapes pour « s’accueillir » ou « rediriger » nos pensées vers des perspectives plus réalistes suffira à faire disparaître nos inconforts. Malheureusement, nous avons peu de contrôle sur l’intensité de nos émotions. En réalité, plus nous sommes impliqué.e.s émotionnellement dans une situation, plus l’inconfort sera intense. Il est donc tout à fait normal que le temps nécessaire pour s’apaiser soit plus long. Par exemple, si un collègue nous annonce le décès d’un de ses parents, nous serons probablement empathiques, mais relativement peu affecté.e.s. Si cette annonce vient d’un ami proche, ou concerne un proche parent, l’intensité émotionnelle sera bien différente.
Par où commencer ?
La première étape consiste à reconnaître que l’inconfort fait partie de l’expérience humaine universelle et que chaque émotion est valide et temporaire. Plutôt que de chercher à éviter ou à supprimer cet inconfort, l’approche de l’autocompassion de Kristin Neff nous invite à l’accueillir avec indulgence et compréhension. En cultivant l’autocompassion, nous développons notre capacité à mieux tolérer les moments difficiles, tout en nous soutenant de manière bienveillante. Apprendre à tolérer l’inconfort repose sur trois piliers : la pleine conscience, la bienveillance, et l’humanité commune.
La pleine conscience nous invite à observer nos émotions inconfortables sans jugement ni amplification : « De façon objective, qu’est-ce qui se passe pour moi en ce moment ? » « Quelles sont mes sensations d’inconfort ? » « Comment cet inconfort se manifeste-t-il dans mon corps ? » « À quoi ressemblent mes pensées ? » Cette prise de conscience nous permet de prendre une certaine distance par rapport à notre expérience émotionnelle, et nous empêche de nous laisser submerger par nos pensées envahissantes.
La bienveillance envers soi nous invite à valider notre propre expérience émotionnelle, comme nous le ferions pour un proche. Nous tentons alors de nous offrir du réconfort au lieu de nous critiquer. Cela peut inclure des réflexions telles que : « Si un.e ami.e vivait la même chose, que lui dirais-je pour valider son expérience ? » « Comment lui ferais-je comprendre qu’il ou elle a le droit de vivre cette émotion ? » « Si cette expérience est intense pour moi, comment puis-je prendre soin de moi malgré cet inconfort ? » «Quels seraient mes besoins dans cette situation ? ».
L’humanité commune, enfin, nous rappelle que tous les êtres humains sont en constante évolution, qu’ils sont imparfaits, qu’ils échouent, font des erreurs et traversent des épreuves. Cette perspective nous aide à éviter de tomber dans le piège de croire que tout devrait se dérouler d’une certaine façon et que quelque chose cloche en nous lorsque ce n’est pas le cas. Cette sphère peut inclure des réflexions comme : « Je ne suis pas seul.e à vivre cette situation. Ça peut arriver à tout le monde de… » « Beaucoup ressentiraient la même chose dans cette situation, ce n’est pas moi qui suis anormal.e. »
Enfin, rappelons que tolérer l’inconfort ne signifie pas simplement « endurer » les moments difficiles, mais les traverser avec indulgence et bienveillance envers soi-même. En pratiquant la pleine conscience et l’autocompassion, nous nous donnons la permission de ressentir nos émotions sans les fuir, de faire des pauses quand cela devient nécessaire, et de trouver un rythme respectueux de nos besoins. Nos périodes d’inconfort deviennent ainsi des opportunités de croissance intérieure. Tout comme nous le faisons durant les mois d’hiver, permettons-nous de trouver cette chaleur intérieure au coeur de nos moments les plus difficiles.