
Deux faces d’une même crise
Au crépuscule de notre modernité se dessinent deux épuisements qui se répondent en écho. D’une part, l’humain exténué par ses ambitions sans bornes; de l’autre, une Terre dépouillée de ses ressources, épuisée par nos excès, Ces deux réalités partagent le même vocabulaire – « ressources », « régénération », « limites » – et des mécanismes similaires.
Ici, une femme au regard éteint, teint blâfard devant un écran, s’evertue sur des dossiers virtuels dans une tour de verre. Là-bas, une forêt millénaire brûle, transformant en cendres le temps long de la vie sauvage.
Ces scènes illustrent un même processus: celui d’un système qui s’effondre après avoir dépassé ses capacités de renouvellement. Le burn-out, littéralement « se consumer jusqu’à l’extinction », décrit précisément cette réalité partagée.
L’épuisement humain en chiffres
L’épuisement professionnel se manifeste par une exténuation physique, émotionnelle et mentale. Selon Statistique Canada, plus de 4 millions de personnes ressentent un stress professionnel élevé ou très élevé (2023), soit plus de 20% de la population active. Chaque semaine, 500 000 travailleurs s’absentent en raison de problèmes psychologiques liés à leur emploi[1].
La planète en surchauffe
Ce même motif d’épuisement se reproduit à l’échelle planétaire. Le « jour du dépassement mondial » – date à laquelle l’humanité a utilisé toutes les ressources renouvelables annuelles – est survenu le 1er août en 2024. Le Canada a atteint son propre jour du dépassement dès le 15 mars, révélant notre empreinte écologique particulièrement lourde.
La situation des sols illustre parfaitement cette dynamique. Ces écosystèmes, qui abritent 25% de la biodiversité terrestre, s’épuisent rapidement. En 150 ans, nous avons perdu plus de la moitié de la couche arable mondiale – cette strate riche en matière organique qui nécessite un millénaire pour générer quelques centimètres.
Des mécanismes de défaillance identiques
Dans les deux cas, le déni joue un rôle important. Le corps humain, comme les écosystèmes, émet des signaux d’alerte avant l’effondrement: insomnies, difficultés de concentration et fatigue chronique chez l’individu; érosion des sols, contamination des eaux et extinction d’espèces pour la planète.
La notion de seuil critique s’applique également aux deux phénomènes. Les médecins identifient un point où la récupération exige l’arrêt complet de l’activité. Les climatologues décrivent des « points de basculement » – des seuils au-delà desquels les changements deviennent irréversibles.
L’exploitation des ressources, humaines comme naturelles, suit un modèle économique similaire fondé sur l’idée d’une croissance perpétuelle, ignorant les temps de régénération nécessaires.
L’écopsychologie, rétablir l’humain et la Terre ensemble
Face à ces constats, l’écopsychologie propose une approche intéressante en postulant que la santé mentale des êtres humains et celle de notre planète sont indissociables.
Au-delà de l’illusion de séparation
Dans Soigner l’esprit, guérir la Terre[2], Michel-Maxime Egger nous invite à dépasser « l’illusion de la discontinuité » – cette croyance moderne que nous sommes séparés de notre écosystème. L’écopsychologie remet en question la séparation artificielle entre l’humain et son environnement.
Notre identité s’étend au-delà de notre individualité pour englober la « toile de vie », pour reprendre l’expression de Egger – le réseau interconnecté du vivant dont nous faisons partie. Cette perspective explique pourquoi l’épuisement de notre environnement et notre propre épuisement sont fondamentalement liés.
Une vision thérapeutique holistique
Contrairement à la vision freudienne qui percevait la nature comme une force extérieure hostile, l’écopsychologie s’inspire de Carl Gustav Jung, qui reconnaissait la dimension cosmique de la psyché humaine. Cette approche nous encourage à passer d’une perspective égo-centrée à une vision éco-cosmo-centrique.
Le courant d’écopsychologie considère que nous sommes perméables aux déséquilibres de la Terre. Comme l’exprimait James Hillman, psychologue ayant conceptualisé la notion de « psychologie archétypale: « Nous ne pouvons être analysés ou soignés indépendamment de la planète. »
Les limites des approches fragmentées
D’un côté, l’écologie peine à mobiliser les consciences parce que l’individu moderne érige des barrières psychologiques pour se protéger des réalités dérangeantes. De l’autre côté, la psychologie occidentale s’est trop longtemps confinée au monde strictement humain, négligeant nos liens avec le vivant.
Cette fragmentation constitue l’une des causes notables de l’épuisement que nous constatons tant chez les individus que dans nos écosystèmes.
Des pratiques intégratives
Les approches d’accompagnement éco-thérapeutiques peuvent permettre de réconcilier l’humain avec la nature. Ces pratiques engagent entre autres le corps, la méditation, la contemplation et les immersions dans la nature. Comme le suggérait Theodore Roszak dans son livre “The Voice of the Earth” : « Nous devons ressentir en nous ce dont la Terre a besoin, comme s’il s’agissait de notre désir le plus intime. »
Ces pratiques offrent une voie pour travailler simultanément sur les deux formes d’épuisement. Elles permettent de reconnecter à nos rythmes naturels tout en développant la conscience de notre interdépendance avec le monde vivant.
Vers une conscience régénératrice
Ainsi, il est frappant que le terme « burn-out » – qui littéralement veut dire « se consumer jusqu’à l’extinction » – fasse écho à notre relation avec les ressources terrestres. Nous épuisons nos énergies intérieures comme nous consommons les ressources planétaires, selon une logique de combustion excessive.
Tout comme un feu trop intense épuise rapidement son combustible, nos modes de vie contemporains brûlent nos ressources jusqu’à l’épuisement. La préservation de ces ressources vitales nécessite une révolution conceptuelle: abandonner la logique de combustion pour embrasser celle de la conservation et de la régénération.
Comme le souligne Roszak, « seul l’amour peut nous changer. » Peut-être est-ce là la clé pour se rétablir simultanément de nos burn-outs personnels et planétaires: retrouver l’amour et le respect pour la vie sous toutes ses formes, y compris la nôtre.
Avec la journée de la Terre qui approche, gardons en tête que prendre soin de notre planète et prendre soin de nous-mêmes sont deux facettes d’une même démarche d’apaisement – car nos destins sont intimement liés dans un cycle de régénération commune où chaque geste compte, pour la Terre comme pour notre propre vitalité.
[1]https://carrefourrh.org/ressources/dossiers-speciaux/semaine-sante-mentale/2024/05/semaine-de-la-sante-mentale-2022-etat-des-lieux
[2] Soigner l’esprit, guérir la Terre. Introduction à l’écopsychologie , Michel-Maxime Egger, éditions Labor et Fides, 288 p