
On sait maintenant que la fatigue, sous plusieurs formes, peut avoir une incidence sur la qualité de vie. On apprend depuis longtemps à porter attention à la fatigue physique qui peut causer des accidents au travail ou sur la route, par exemple. On sait qu’il faut s’arrêter quand notre corps ne nous permet plus de réaliser physiquement une tâche.
Par contre, que vous soyez étudiant ou travailleur, combien de fois avez-vous poursuivi une tâche cognitive, même si vous vous heurtiez à un mur, que la tâche n’avançait plus? Après tout, quand on travaille assis à l’ordinateur, est-ce qu’on voit vraiment les risques de poursuivre malgré la fatigue ? En fait, il y a des impacts, notamment sur la prise de décisions et l’exécution de tâches quotidiennes. D’autant plus que cela peut avoir des effets plus importants et variés si le cerveau est lésé, par exemple, suite à un AVC ou un traumatisme crânien. Des hypothèses ont également été posées en lien avec une possible dissociation entre la fatigue du cerveau et notre capacité à percevoir de celle-ci. C’est donc important d’apprendre à observer les signes et de s’écouter. En tant qu’orthophoniste, je peux vous partagez quelques indices qui passent par la communication et qu’on peut interpréter comme des signes que le cerveau nous envoie pour nous dire de fermer l’ordi et recharger notre batterie !
*Petits rappels :
- La communication peut être verbale (s’exprimer ou comprendre), non verbale (geste, pointage, contact visuel, etc.) ou écrite (lecture et écriture). Ainsi, les différents exemples ci-dessous peuvent s’interpréter dans ces différentes sphères. Par exemple, construire une phrase à l’oral ou à l’écrit.
- Chaque personne présente ses particularités en termes de communication. Par exemple, certains parlent beaucoup alors que d’autres non. Certains ont un vocabulaire très recherché et d’autres vont à l’essentiel. Lorsqu’on analyse nos habiletés de communication, il faut aussi se baser sur notre communication habituelle.
- La communication est le résultat d’un amalgame de fonctions cognitives et elle mobilise différentes aires de votre cerveau. C’est un travail qui requiert, entre autres, du contrôle et de l’énergie.
- Il y a aussi plusieurs procédés métaboliques et biologiques qui sont derrière le bon fonctionnement du cerveau et la fatigue cognitive, mais on ne tombera pas dans tout ça aujourd’hui, le but n’étant pas de se fatiguer davantage !!
- Il ne faut pas oublier que la fatigue peut être un symptôme de certains troubles et maladies. Ainsi, si vous ressentez une fatigue soudaine, inexpliquée et/ou qui persiste, n’hésitez pas à consulter votre professionnel de la santé.
- De plus, les difficultés à formuler des phrases, à organiser le discours, à lire et à trouver les mots peuvent faire partie de certains troubles du langage. Si ces signes sont récurrents et que vous avez des inquiétudes, il est pertinent de consulter votre médecin ou de contacter un orthophoniste.
La fois où vous avez essayé d’expliquer quelque chose, mais que ça ne faisait pas de sens.
Imaginez-vous à 11h00 pm, après une longue journée de travail, après avoir fait les devoirs avec les enfants et avoir planifié les lunchs, les vêtements et l’horaire du lendemain ou après avoir étudié pendant des heures. À ce moment, je vous mets au défi d’expliquer étape par étape à quelqu’un comment faire la vaisselle à la main, sans faire de longues pauses et sans chercher vos mots. Cela serait difficile. Je vous donne cet exemple, parce qu’alors votre cerveau serait fatigué et que votre performance serait altérée. À 11h00 pm, ça peut être normal et c’est le temps d’aller se coucher. Par contre, si ça vous arrive dans le milieu de la journée, c’est une image à se rappeler et c’est signe qu’il faut prendre une pause. Un discours de procédure requiert notamment de l’organisation, l’inhibition d’informations non importantes, l’accès aux mots précis et des habiletés de pragmatique pour s’adapter à notre interlocuteur et donner juste assez d’informations. Ça peut être un bon indicateur de votre niveau de disponibilité cognitive ! J’aime bien faire la comparaison entre ce type de tâche et marcher sur une ligne droite quand on est trop fatigué. Si on n’y arrive pas, on ne reprend pas le volant, tout comme je vous suggère de prendre un petit moment pour recharger votre batterie.
La fois où vous n’arriviez pas à dire frigo !
Ah le cerveau, quel dictionnaire extraordinaire ! Pourtant, quand on est fatigué, il arrive qu’on cherche un mot qu’on connaît très bien. L’accès aux mots est l’une des habiletés langagières auxquelles les gens portent le plus attention, selon mes observations. C’est pourquoi ça peut être un bon indicateur si vous cherchez plus vos mots pendant une journée ou que vous faites plus de lapsus (par exemple, dire télescope au lieu de téléphone). Si ça vous est arrivé de vous dire ⟪ Voyons, c’est quoi le mot ? ⟫, pourquoi ne pas vous offrir vous une petite pause? Je vous suggère de le faire dans le silence, loin des distractions.
Notons que d’autres facteurs entrent parfois en ligne de compte tel que le stress et la gêne et qu’il faut s’adapter selon votre portrait de communication habituel.
À faire attention : Si des difficultés à communiquer apparaissent subitement, il est indiqué de voir un médecin rapidement. Un trouble de parole subit n’est pas relié à la fatigue.
La fois où vous n’avez rien compris de ce que votre employeur vous a demandé de faire.
…ou de ce que le prof a dit en classe. Avez-vous pris une pause avant cette rencontre ou ce cours ? Avez-vous bien dormi ? Est-ce que vous êtes en train de demander à votre cerveau de faire trop de tâches en même temps ce qui ne lui permet pas de se concentrer sur ce que la personne vous dit ? Les difficultés de compréhension, si elles sont ponctuelles et non récurrentes, sont de petits signes de fatigue cognitive. Porter attention à votre niveau de compréhension orale pourrait vous permettre de repenser votre préparation à des rencontres importantes.
La fois ou vous avez relu la même ligne 3 fois de suite.
Que ce soit en lisant un document ou en relisant ce que vous venez d’écrire, il arrive que vous ne compreniez pas quelque chose qui serait habituellement simple pour vous. C’est le moment de fermer la page du livre ou du travail que vous êtes en train de réviser et de prendre une pause.
En somme, le cerveau, bien qu’il ne soit pas visible au quotidien, nécessite qu’on y porte et qu’on y fasse attention. On ignore souvent les signes qu’il nous envoie, pourtant sa santé est partie intégrante de notre bien-être physique et psychologique. Des signes du langage peuvent être intéressants à observer, mais il existe aussi d’autres signes. Il est ainsi indiqué de poser des questions à vos professionnels de la santé si vous vous sentez fatigués et que vous voulez des astuces. S’offrir et prévoir des temps de pauses loin des environnements bruyants et parfois même des activités qui ne demandent pas de parler ou de comprendre peut être bénéfique. Observer les signes et les écouter ainsi que respecter nos propres limites sont également parmi les comportements à adopter pour favoriser une santé cognitive !
Références :
Wiehler, A., Banzoli, F., Adanyeguh, I., Mochel F. & Pessiglione M. A neuro-metabolic account of why daylong cognitive work alters the control of economic decisions. Current Biology. 2022; 32(16):3564-3575. doi.org/10.1016/j.cub.2022.07.010
Lésions cérébrales Canada. Stratégies de gestion de la fatigue. [date inconnue]. Dans : Lésion cérébrale Canada [En ligne]. Canada : Lésion cérébrale Canada.2024. Disponible : https://braininjurycanada.ca/fr/effets-des-lesions-cerebrales/physiques/fatigue/strategies/
Scholey, E. & Apps, M. A. J. Fatigue : tough days at work change your prefrontal metabolites. Current Biology. 2022; 32 (16):R876-R879. doi.org/10.1016/j.cub.2022.06.088