Les gens qui m’invitent à souper sont souvent étonnés que j’accepte. Pire, que je me régale d’une pizza et d’un verre avec mes amis quand je sors. Sacrifice? Hypocrisie? Je le vois bien, ils sont souvent soit surpris (« J’imagine que je ne te sers pas de morceau de pizza? »…ben si!), soit déçus (« Moi qui pensais que tu mangeais vraiment jamais sans gluten. »), et, en tout état de cause, ils laissent transparaître un soupçon de jugement (« Ben là, la fille a monté une école d’alimentation saine et elle mange de la pizza?»).
C’est bien normal. Le jugement et la culpabilité sont très présents dans notre société. Et cela s’applique aussi à l’alimentation.
Chacun s’applique alors à retirer de son assiette les aliments « maudits » et à essayer toutes sortes de régimes qui promettent monts et merveilles, jusqu’à ce qu’un jour, cela relève plus de l’obsession que de la prise de conscience alimentaire.
Qu’est-ce que l’orthorexie?
Selon l’Office québécois de la langue française, l’orthorexie est « un comportement névrotique caractérisé par l’obsession d’une alimentation saine ». Le premier à la nommer fut le médecin américain Steven Bratman en 1997. Scientifiquement, elle n’est pas considérée comme un trouble alimentaire, c’est pourquoi la recherche en la matière en est encore à ses débuts, mais il s’agit bien d’un extrémisme alimentaire. L’orthorexie est une recherche de la perfection, que la personne s’impose sans y être contrainte et qui tourne à l’obsession (contrairement à la personne diabétique, par exemple, qui sera forcée de suivre un régime strict sans sucre).
Avec le succès des nouveaux régimes – végétarien, végétalien, sans gluten, cru, macrobiotique, paléo, frugivore, la liste est longue – nous connaissons tous des personnes (légèrement ou pas) obsédées par leur régime alimentaire. Bien sûr, cela ne signifie pas que ceux qui sont équilibrés, qui mangent sainement et respectent leur corps avec une alimentation biologique, variée, locale et à base de fruits et de légumes, ont tort, mais la tendance au « régime salvateur » et à la culpabilisation quand on déroge de la règle est bien présente.
Donc, non, je ne me nourris pas de pizza pour autant. Mon alimentation est le plus possible végétale, vivante et variée, à base de fruits et de légumes. Je mange très peu de gluten, non pas parce que j’achète des produits industriels sans gluten, mais parce que le blé ne constitue absolument plus la base de mon alimentation. J’ai appris à cuisiner des alternatives au blé (d’ailleurs, si vous voulez en savoir plus là-dessus, j’avais justement écrit un article sur le sujet). Je cuisine la plupart du temps et je n’achète quasiment jamais de plats préparés. M’arrive-t-il de sortir avec mes amis et de manger ce qui nous passe sous la main? Oui. Cela fait aussi partie de la souplesse de la vie et de la beauté du partage, dans le moment présent.
Comment se caractérise l’orthorexie?
« Le mieux est l’ennemi du bien ». À trop vouloir bien faire, la personne orthorexique fait passer la santé avant le plaisir et catégorise tous les aliments en « bons » ou « mauvais ». Elle ne se fait plus plaisir en mangeant et va même jusqu’à se priver d’aliments qu’elle trouvait avant délicieux. Il devient donc de plus en plus difficile pour elle de manger ailleurs que chez elle et elle finit par s’isoler de ses proches. Fan de détox, la personne sentira le besoin constant de se « nettoyer ». Comme je vous l’avais écrit dans mon article sur la détox, celle-ci peut pourtant se faire de façon raisonnée, loin de la « mode » qu’on lui connaît.
L’orthorexie peut aussi mener à des carences : à force de refuser des aliments sans pour autant comprendre l’équilibre alimentaire, on risque de développer en effet des insuffisances. L’alimentation saine relève malheureusement plus souvent d’un nouveau marché marketing que d’une réelle prise de conscience alimentaire. L’éducation nous importe beaucoup, à l’Académie Végétale, c’est pourquoi j’ai créé cette école.
Vous vous demandez si vous glissez doucement vers l’orthorexie? Un test, que je vous partage à la fin de ce texte, a été élaboré par le docteur Bratman et permet de voir si on commence à dévier vers l’obsession.
Les causes de l’orthorexie
Ce n’est pas un hasard si nous nous dirigeons lentement mais sûrement vers un extrémisme alimentaire. Tout concourt à nous alerter sur ce que nous mangeons : la peur légitime de la maladie; le marketing autour de l’alimentation saine, de la détox ou des superaliments; les crises alimentaires fréquentes (retraits de produits, scandales alimentaires, etc.); ou l’omniprésence de conseils alimentaires.
Il est donc normal de s’inquiéter de ce que nous mangeons et d’essayer de corriger certaines de ses habitudes. Cependant, cela doit se faire dans le plaisir : si j’ai changé mon alimentation, c’est parce que j’ai ressenti que cela me faisait du bien, que j’ai gagné en énergie et que mon humeur s’en est de suite ressentie. Et non parce qu’il faut manger sainement ou qu’une étude a prouvé que tel superaliment était bon.
Nous avons tendance à vouloir la pilule magique. La solution, souvent sans effort, qui fera que nous vivrons le plus longtemps possible en pleine santé. C’est normal et l’alimentation aide à cela, clairement. Mais l’alimentation n’est pas le but en soi. Le but, c’est de vivre pleinement notre vie. D’avoir l’énergie de réaliser ses rêves. À trop penser de façon binaire, voire manichéenne, nous construisons des barrières (très symboliques de notre société) entre les véganes et les carnivores, les « sans gluten » et les amateurs de pains ou de pâtes, les amateurs de smoothies et les amateurs de poutine, etc.
J’ai grandi au Maroc. De mon enfance, je n’ai jamais rencontré de végétariens. Je n’ai jamais rencontré non plus de personnes qui ne mangeaient pas un kilo de légumes par jour. Il a vraiment fallu que nous arrivions à une alimentation extrêmement industrielle en Occident pour ensuite basculer dans un autre extrême.
Et si la solution se trouvait dans le bon sens, le plaisir et la prise de conscience alimentaire?
Oui, nous mangeons pour avoir de l’énergie et pour être en santé, mais il ne faut pas oublier que manger est aussi une source de plaisir, de partage, de joie et surtout pas de frustration. D’ailleurs, la psychothérapie utilisée pour soigner l’orthorexie passe par l’étape de réinsuffler du plaisir dans la nourriture.
En cherchant une sorte de « pureté », nous oublions l’essentiel, qui est de lâcher prise et de vivre l’instant présent. Et si l’instant présent vous offre le plaisir de partager un apéritif avec vos amis ? Eh bien, profitez-en sans vous préoccuper des gens qui vous promettent le régime parfait.
Voilà, j’espère que cet article vous aura inspiré(e)s à manger sainement sans en faire pour autant une obsession. Oui, manger sainement EST un plaisir pour le corps et pour l’âme. Alors, amusez-vous dans votre cuisine et faites-vous plaisir ! Si vous manquez d’idées pour que santé rime avec gourmandise, regardez donc notre programme de cours de cuisine santé, vous y trouverez sûrement votre bonheur et vous arriverez à trouver votre équilibre!
Test : Avez-vous une tendance orthorexique?
1. Consacrez-vous plus de trois heures par jour à réfléchir à votre régime alimentaire?
2. Planifiez-vous vos menus plusieurs jours à l’avance?
3. La valeur nutritionnelle de votre repas passe-t-elle avant le plaisir de le manger?
4. La qualité de votre vie s’est-elle dégradée, alors que la qualité de votre alimentation s’est améliorée?
5. Ces derniers temps, êtes-vous devenu plus exigeant avec vous-même?
6. Manger sainement a-t-il renforcé votre estime de vous-même?
7. Avez-vous renoncé à des aliments que vous aimiez au profit d’aliments plus sains ?
8. Votre régime alimentaire vous rend-il les repas à l’extérieur difficiles ou vous éloigne-t-il de votre famille et de vos amis ?
9. Éprouvez-vous un sentiment de culpabilité dès que vous vous écartez de votre régime ?
10. Vous sentez-vous en paix avec vous-même, dans un sentiment de contrôle total, lorsque vous mangez sainement ?
Si vous répondez quatre ou cinq fois oui, il est temps de vous détendre davantage à propos de la nourriture. Au-delà, vous basculez dans une obsession déclarée pour la nourriture saine.
Test de l’orthorexie, repris du site www.psychologiemagazine.com, réalisé par le médecin américain Steven Bratman pour le European Food Information Council (traduction Patrick Denoux, professeur de psychologie et auteur de Pourquoi cette peur au ventre). Plus d’infos sur orthorexia.com.