Un article de Paola María Akl Moanack, M.Ps., psychologue chez Meetual
« C’est en décidant que nous forgeons notre destin. »
– Anthony Robbins
Changements de vie
Notre vie est une suite de décisions que nous prenons depuis que nous ouvrons les yeux le matin. Prendre la décision de se lever tout de suite ou de rester au chaud dans le lit, prendre une douche ou un bain, faire du sport ou de la méditation, prendre des céréales ou des œufs au petit-déjeuner, etc. Tout ce que nous faisons au quotidien implique une décision et chacune des décisions provoque un changement infime ou énorme, dans notre style de vie. La plupart n’ont aucune importance pour notre avenir: rester ou pas cinq minutes de plus au lit, choisir la boisson avec laquelle nous allons accompagner notre dîner, choisir le stylo avec lequel nous allons prendre des notes durant la journée, etc. D’autres décisions, par contre, ont un impact majeur sur notre avenir et notre identité même: notre choix de carrière, prendre la décision de commettre ou pas un délit, l’achat d’une maison, avoir ou pas des enfants. Ces dernières sont des décisions qui peuvent provoquer un niveau élevé d’anxiété, nous amenant même à un état de blocage qui nous empêche de choisir. Plus la décision implique un changement important de vie, plus elle devient anxiogène.
En effet, tous les changements sont susceptibles de se transformer en situation de menace, spécialement quand nous sommes confrontés à des situations nouvelles, inconnues, imprévisibles, ambigües ou qui nous amènent hors de notre zone de confort. En tant qu’êtres humains, notre développement implique ce genre de changements avec une certaine fréquence, mais quand nous sommes dans une période de vie de stress soutenu, nous devenons insécures face à notre capacité de surmonter les défis que le changement représente. La prise de décisions dans ces moments de manque de confiance devient donc problématique: Et si je me trompe? Et si je ne peux pas revenir en arrière? Que puis-je faire si je décide de changer de chemin, si je regrette? Et si je ne suis pas capable de le faire, d’aller jusqu’au bout? Serais-je heureux-se même si je fais le mauvais choix?
Douter ou se lancer
Certaines personnes ont plus de difficultés à prendre des décisions que d’autres. Cela peut être relié aux leçons apprises au cours de notre éducation: la difficulté de prendre des décisions peut être largement liée à notre capacité à tolérer la frustration et/ou au concept de réussite que nous avons appris. Par exemple, une personne qui grandit dans une famille dans laquelle échouer ou commettre des erreurs est fortement puni sera probablement plus mesurée lors de la prise de décisions, car elle aura intériorisé l’idée qu’elle ne peut pas échouer ou qu’elle sera réprimandée. Ce genre de familles prônent un concept rigide de la réussite, ce qui génère une intolérance à la frustration chez tous ses membres. C’est aussi le cas des personnes perfectionnistes qui seront immobilisées lorsqu’elles seront confrontées à deux options: Même si les deux sont bonnes, il faudra choisir la meilleure, et composer avec le regret de ne pas avoir choisi l’autre option. Par ailleurs, les parents anxieux, pour qui le monde est souvent une menace, transmettent leurs peurs aux enfants. Ceux-ci développent donc une peur à l’exploration puisqu’ils apprennent que le monde est dangereux. Également, quand les parents ont tendance à être surprotecteurs et que leurs peurs les amènent à prendre des décisions à la place de leurs enfants dans une tentative de les protéger, ils leurs apprennent inconsciemment qu’ils ne sont pas capables de les prendre eux-mêmes, qu’ils doivent toujours douter de leurs capacités à faire des choix. Ces enfants seront des adultes qui auront plus tendance à avoir besoin des autres pour valider leurs choix, qui auront plus le sentiment de ne pas être à la hauteur, de ne pas avoir la capacité d’assumer pleinement leurs décisions. Ils seront donc des adultes qui auront davantage de difficultés à prendre des décisions.
Bref, ce qui rend difficile la prise de décisions, c’est de penser que nous sommes faillibles et de craindre l’incapacité de surmonter les conséquences d’une mauvaise décision. Par contre, pour certains, l’échec n’est pas mauvais, puisque le succès est fondé sur des échecs.
Différences culturelles dans la prise de décision
Notre environnement culturel explique aussi certaines difficultés face à la prise de décisions. Plus notre culture est individualiste, plus le concept de liberté est défini par la possibilité de choisir. Tout se centre sur la recherche du plus grand nombre de choix possible et le fait de ne pas pouvoir choisir devient inacceptable, et ce même pour les décisions les plus difficiles, comme celle de consentir à débrancher un proche du respirateur artificiel. Dans les cultures occidentales, il est impensable de laisser ce choix à quelqu’un d’autre, malgré le risque d’avoir à vivre avec la sensation d’avoir contribué à la mort d’un proche. Dans certaines cultures plus traditionnelles, il est préférable que le médecin s’en charge. Par ailleurs, dans les sociétés plus collectivistes, prendre des décisions individuelles peut être considéré comme un acte de déloyauté envers le groupe d’appartenance qui résulte dans une sensation de distance et de trahison. De plus, être en mesure de prendre une décision dépend de notre capacité de comprendre les subtiles différences entre les options possibles, ce qui ne se produit que lorsque nous avons été entraînés à les détecter et à les valoriser. Si les Autochtones ont plusieurs mots pour décrire la neige, dans certaines régions du monde, une boisson gazeuse reste une boisson gazeuse peu importe la marque ou la couleur.
Comment faciliter la prise de décision?
Pour rester logique, si nous diminuons le risque de résultats négatifs, que nous augmentons leur prévisibilité et si nous éliminons l’incertitude, les décisions deviendraient faciles à prendre. Cependant, la plupart des choses sont imprévisibles et aucune situation humaine ne manque d’ambiguïté. Il est courant que le remède à l’incertitude soit un meilleur contrôle, mais il arrive aussi que le contrôle augmente ‘anxiété et la difficulté à décider… D’un autre côté, apprendre à être à l’aise avec incertitude peut contribuer à notre tranquillité d’esprit. Il y a tout de même quelques trucs qui facilitent cette prise de décision:
- Explorer vs. Exploiter : Plus on est familier avec quelque chose, plus on peut exploiter les connaissances acquises durant notre vie dans ce domaine spécifique, alors que moins on est familier, plus on est appelé à explorer les différentes options. Ce principe s’applique aussi au temps que nous avons pour découvrir un endroit spécifique: plus le temps est court, moins on explore et plus on exploite nos connaissances déjà acquises.
- Échantillon représentatif : Il est souvent impossible d’évaluer rigoureusement le 100% des possibilités avant de faire un choix. Nous ne pouvons pas connaître la totalité des restaurants avant de décider où souper ni le 100% des universités qui offrent le programme que nous voulons étudier. Et si c’était possible, il est aussi vrai que cette vérification systématique repousserait la prise du rendez-vous en la rendant inefficace. Ainsi, décider de se limiter à un pourcentage représentatif de la totalité nous donne un but plus réaliste et une possibilité d’augmenter les chances de bien choisir.
- Catégorisation : Une autre façon d’avoir une plus ample emprise sur la révision des choix possibles, c’est de les diminuer en créant des catégories: organiser les universités par distance ou par langue, par exemple. Plus on trouve les traits communs à chacune des options, mieux on peut les comparer.
- Du plus petit au plus grand : Quand il y a plusieurs choses à décider (dans la planification d’une fête, par exemple), c’est important de commencer par les catégories dans lesquelles il y a moins d’options. Quand nous devons choisir entre 30 tonalités de couleurs, 25 différents choix de fleurs, etc, nous serons épuisés pour choisir entre le poulet et la viande. Alors que si nous commençons par les catégories dans lesquelles il y a moins d’options, cela nous donnera une sensation de confiance en notre capacité de faire des choix et nous restons ainsi plus engagé dans l’exercice.
- Visualiser : Plus les choix sont concrets et réalistes, plus c’est facile de prendre une décision. Ainsi, fermer les yeux et s’imaginer dans la situation particulière aide énormément à avoir une idée plus claire de comment nous font sentir les différents choix.
- Expérience et intuition : En cas de doute, c’est toujours une bonne idée de faire appel à une personne experte qui peut nous guider, mais sans oublier de laisser un espace à l’intuition. Il y a toujours une petite voix à l’intérieur qui nous dit ce qui nous convient le plus. Un bon mélange d’expérience et d’intuition, c’est la meilleure recette.
Ceci dit, peu importe les choix à faire et les efforts à investir pour contrôler toutes les variables dans la prise de décisions, la vie est et sera toujours imprévisible. Nous n’avons aucun contrôle sur les résultats de nos choix, nous ne pouvons que maîtriser le processus de la prise de décision.
Être conscient d’avoir fait de son mieux avec les informations à sa disposition, c’est être en paix par rapport au résultat, même si la décision prise n’est finalement pas la meilleure.
La différence entre devoir être et vouloir être
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les décisions les plus difficiles ne sont pas celles qui génèrent un impact important sur nos vies, mais celles dont les alternatives sont équivalentes. En ce sens, même les décisions les plus simples peuvent être difficiles. Mais attention, que les solutions alternatives soient équivalentes ne signifie pas qu’elles soient égales au point de pouvoir décider à pile ou face.
Il y a des décisions qui semblent simples et logiques pour la plupart et qui peuvent nous faire sentir obligés de décider au nom de cette « logique ». Cependant, prendre cette position peut nuire à notre capacité de choisir notre mode de vie et de nous rendre ainsi esclaves de « la raison» . Le choix de l’emploi le plus payant, par exemple, au détriment de celui qui implique des tâches qui nous passionnent davantage. En effet, être capable de prendre des décisions difficiles nous permet d’exercer un pouvoir sur notre destin et de forger notre identité, devenir les personnes que nous voulons être au lieu de suivre les raisons qui nous sont imposées. Les décisions difficiles nous permettent de devenir les auteurs de notre vie et s’avèrent donc une opportunité et non une malédiction.