Un texte de Paola Akl Moanack, psychologue chez Meetual.
« Être moderne, c’est se retrouver dans un environnement qui nous promet aventures, puissance, joie, croissance, transformation de nous-mêmes et du monde et qui, en même temps, menace de détruire tout ce que nous avons, tout ce que nous savons, tout ce que nous sommes. » – Berman
Quel privilège que celui de vivre dans ce monde changeant qui nous offre de plus en plus d’options pour rendre notre vie plus confortable! Que serait notre existence si nous ne pouvions avoir à portée de main, de façon immédiate, tout ce qui signifiait auparavant des heures, des jours, et même des mois d’attente? Grâce aux progrès dans les moyens de transport, le monde est à nos portes. Nous pouvons nous rendre maintenant à des endroits plus lointains plus rapidement et accéder même à des coins de la planète qui n’auraient jamais été accessibles auparavant.
Grâce aux progrès des moyens de communication, au lieu d’attendre des mois l’arrivée d’une lettre écrite à la main, quelques secondes suffisent pour envoyer un courriel ou même avoir une communication par vidéo-conférence avec quelqu’un qui se trouve de l’autre côté de l’océan. Et pourquoi attendre à ce que la personne avec qui je dois communiquer soit libre de prendre mon appel alors que je peux lui envoyer un petit texto rapide? Pourquoi attendre à une réunion quand les réseaux sociaux me permettent de communiquer avec tout le monde d’un seul coup?
Se retrouver dans une file d’attente? Cela semble incompréhensible quand pratiquement TOUT dans notre vie peut se gérer sur Internet (effectuer des transactions bancaires, passer une commande de nourriture, faire l’épicerie, faire des achats divers, suivre un cours, obtenir un diplôme, et même consulter un médecin ou un psychologue!). Et puis, il ne faut même pas attendre d’être au bureau ou à la maison et d’allumer l’ordinateur. On peut tout simplement prendre son téléphone portable et le faire sur place, sur le coup, avant même de compléter la réflexion de ce que l’on veut exactement.
De nos jours, il ne faut même pas attendre de finir une tâche avant d’entamer la suivante. Nous pouvons accéder à une infinité d’informations, lire plusieurs articles, clavarder avec nos amis, suivre leur vie sur les médias sociaux, écouter de la musique, faire le suivi des notifications sur nos différents réseaux sociaux, et écouter les bulletins d’informations, le tout, simultanément.
Bref, la technologie a accéléré le rythme de vie de façon dramatique, et les nouvelles générations ont été éduquées dans, à partir de, et pour cette nouvelle « culture du frénétique ». Le multitasking, l’hyper-performance, la surexigence, et la vie en situation de stress sont devenus la norme; un employé sans stress est pratiquement un employé mal perçu par ses pairs et ses employeurs.
Le monde et la nature nous rappellent, cependant, de temps en temps, qu’il y a des choses dans la vie pour lesquelles il n’y a pas d’autres options que d’attendre: peu importe les avancées technologiques, une grossesse a toujours une période de gestation de neuf mois (quand le bébé est à terme); il faut toujours attendre la fin de l’hiver pour arriver au printemps; et on ne peut pas accélérer le coucher du soleil pour se rendre à la nuit plus rapidement.
Qu’est-ce que le syndrome du bore-out?
Cette réalité du contraste entre la nature et la modernité affecte pratiquement toutes les sphères de notre vie. Le milieu du travail, milieu dans lequel nous passons la plus grande partie de nos journées, est loin d’être épargné de ce conflit.
Vous avez sûrement entendu parler du burn-out, ou épuisement professionnel, ce syndrome qui apparaît dans le milieu du travail, quand certaines personnes se sentent surmenées suite à une longue période de stress soutenu. Le burn-out est vécu souvent par des personnes qui ont une capacité d’adaptation élevée et qui, à force de se donner à fond pour atteindre les attentes du milieu, finissent par se détruire et s’épuiser jusqu’à la dernière goutte d’énergie.
Le syndrome du bore-out est l’inverse. Venant du mot anglais bore (ennuyer), le phénomène du bore-out, ou épuisement professionnel par l’ennui, fait allusion à la sensation d’ennui extrême au travail. Il s’agit ici d’un ennui soutenu dans le temps qui s’inscrit peu à peu dans le mode de vie de la personne et devient à tel point insupportable qu’elle finit par détruire une partie de son identité. C’est un terme relativement récent que les experts définissent comme « Un état psychologique négatif de basse productivité ». Cet état se manifeste sous trois formes:
- Une crise identitaire qui survient du sens accordé au travail et le sens que celui-ci a dans le parcours de vie.
- Un ennui à réaliser les activités propres du travail.
- Un sentiment de stagnation qui entraîne une diminution de la motivation.
Plusieurs auteurs attribuent ce syndrome au travail comme tel: manque de planification et de clarté des tâches à réaliser, duplication dans les tâches avec d’autres postes de travail, monopolisation des tâches le plus stimulantes de la part des supérieurs et de ceux qui ont plus d’ancienneté, tâches monotones et répétitives, instructions qui empêchent les employés d’innover ou se montrer créatifs, manque de promotion du personnel (absence d’opportunités d’avancement), manque de stimulation et reconnaissance face à une bonne performance, manque de préparation pour le poste, surqualification, etc.
Ces conditions de travail provoquent une sensation de mal-être importante, le sentiment de penser que peu importe l’effort réalisé, il n’y a aucune possibilité de changement et la honte de se sentir inutile. De plus, la personne peut se sentir jugée et n’ose pas nommer ce mal-être. Comment avouer ouvertement que vous perdez votre temps toute la journée?
Comment différencier le burn-out du bore-out?
La différence entre les deux concepts est plus dans la compréhension des causes qui provoquent le mal-être que des symptômes directement. Un employé en burn-out n’a pas le temps de s’ennuyer. Il ne va pas montrer une basse estime de lui-même, ni un sentiment d’infra-utilisation de son potentiel. Au contraire, il se sent submergé par la situation et pense que son temps et son dévouement ont été abusés. Mais dans les deux cas, quand la situation se maintient dans le temps, elle entraîne fatigue et épuisement et, par voie de conséquence, une baisse de ses performances. Soutenus dans le temps, les deux syndromes peuvent provoquer des symptômes plus sérieux comme une détérioration de la santé physique, des affectations importantes dans les cycles de sommeil, des variations importantes du poids, etc., et peuvent se transformer en dépression majeure. Par ailleurs, quelques études suggèrent que les personnes atteintes de bore-out ont une espérance de vie plus courte, non pas parce qu’elles meurent d’ennui littéralement, mais parce que l’ennui les amène à adopter des habitudes de vie moins saines (alimentation, consommation d’alcool et de drogues) et avoir des comportements plus risqués.
Société vs. organisation vs. individu vs. nature
Comme mentionné plus tôt, le concept du bore-out s’est développé dans le domaine de la psychologie du travail et malheureusement, dans l’intérêt que les organisations ont d’améliorer la productivité de leurs travailleurs. Il a été mentionné que les organisations sont coupables de créer des environnements de travail toxiques et qu’elles peuvent modifier leurs processus internes pour prévenir le problème et agir en conséquence. Il faudrait, cependant, tenir compte des changements culturels dans leurs restructurations afin d’adapter les processus aux nouvelles réalités sociales, au lieu d’exiger exclusivement aux employés de s’adapter à la culture de l’organisation.
Mais il est quand même important de réfléchir sur le fait que les anciennes générations avaient souvent des conditions de travail pas mal plus déplorables et ennuyantes et ne souffraient pas de cet ennui extrême que nous voyons de plus en plus (les milléniaux sont deux fois plus susceptibles de souffrir du bore-out). Aussi, cet ennui se ressent de plus en plus dans toutes les sphères de la vie et non seulement au travail. Plusieurs jeunes expliquent leur besoin de consommation par le sentiment d’ennui, quasiment d’ennui existentiel. Nous sommes des générations « distraites », et quand les stimuli arrêtent pour une raison quelconque, nous « mourons d’ennui ».
Il serait donc pertinent d’évaluer la façon dont nous avons laissé ces nouvelles formes de vie nous affecter, et comment elles nous rendent plus vulnérables à ces syndromes. Être plus rapides, plus efficaces, plus parfaits nous apporte confort et satisfaction, au prix de notre capacité à apprécier les plaisirs simples de la vie. Arriver plus vite, se rendre plus loin ou profiter du parcours? Quelle est notre attitude face à notre propre vie?
Réapprendre à attendre et à écouter le silence
Nous avons appris à vivre dans un vortex d’innombrables stimuli, nous sommes nés et avons grandi en oubliant que la nature impose encore certains moments de calme et d’attente. Nous vous proposons donc de profiter de cette période de renouveau pour réapprendre à attendre. Voici quelques idées à mettre en pratique pour bien vivre le retour au travail et se préparer à commencer une nouvelle année avec une attitude renouvelée et un éveil des sens. N’oubliez pas de prendre des notes sur les réflexions faites suite aux exercices.
Pour consulter la version téléchargeable/imprimable, c’est ici!