Les dernières années nous ont catapultés dans une mer houleuse d’épreuves. Nos repères ont été secoués comme jamais auparavant. Nos plans ont été ébranlés maintes et maintes fois. La stabilité est devenue un luxe, une denrée rare. Plusieurs aspects de notre vie, que nous tenions pour acquis, ont été heurtés contre un mur d’incertitude et même de privation : l’accès à nos proches, notre emploi, l’option de déplacements et de voyages, la disponibilité des services de garde, notre santé, certains droits et libertés, la pérennité des entreprises locales, notre système de santé publique…
Nous avons tous été confrontés à l’incertitude et à l’impuissance. Certains auront ressenti de l’anxiété. D’autres, de la déprime. D’autres, de la révolte et de l’opposition. D’autres auront minimisé l’importance de la situation. D’autres l’auront amplifiée en appréhendant les scénarios les plus catastrophiques. Pour plusieurs, un mélange de tout cela. Néanmoins, nous faisons tous face à la même épreuve : celle d’accepter la situation et de s’adapter au meilleur de nos capacités.
Ceci m’amène à parler d’acceptation. C’est attrayant comme concept, « l’acceptation », non ? La vie serait si simple si nous pouvions accepter ce qui est. Pour plusieurs, cette vertu peut paraitre utopique, comme quelque chose qui appartient à un paradis éloigné, détaché de notre réalité, réservé aux moines résidant dans des monastères isolés du reste du monde. Plusieurs personnes résistent au principe « d’acceptation », le croyant équivalent à la soumission passive. Je me permets donc de reprendre quelques précisions que j’énumère dans mon livre Calme au cœur du chaos, au chapitre dix :
« L’acceptation implique d’accueillir les choses telles qu’elles sont et de les inclure dans notre expérience du moment. La notion d’acceptation est l’opposé de nos tentatives fréquentes de nier, de résister, de contrôler, de changer ou de lutter contre certains aspects du présent. L’acceptation n’est pas synonyme de résignation ou de soumission. C’est plutôt la capacité à être réceptif à ce qui se manifeste, dans la confiance que tout est en constante évolution. L’acceptation ne signifie pas non plus que l’on doive s’efforcer d’aimer ce qui se passe. Vous n’avez pas à vous convaincre que l’obstacle auquel vous êtes confronté est un cadeau du ciel. Vous pouvez toutefois choisir de ne pas envenimer la charge émotive associée à l’irritation éprouvée face à la situation. J’emprunte la métaphore de Christophe André—psychiatre français, auteur et sommité en matière de pleine conscience—pour illustrer le principe d’acceptation : un nageur est pris dans le courant d’une rivière qui l’entraine au large. S’il s’affole à tenter de rejoindre le rivage à contre-courant, il risque de s’épuiser et se noyer. Il doit ici accepter que le courant soit plus puissant que lui pour le moment et nager avec le courant. Nous avons toujours l’option de nager contre le courant (lutte/résistance), de nous laisser couler (abandon/évitement) ou de nager avec le courant (acceptation). Il est toutefois important de se rappeler que, en ce qui concerne les épreuves de vie pénibles telles les deuils, l’acceptation vient au bout d’un processus important de digestion émotionnelle et d’un passage par des émotions variées (déni, colère, tristesse, questionnements existentiels, etc.). Il est indispensable de ne pas sauter ces étapes dans l’illusion que l’on doive rapidement accepter la situation pour recouvrer le bien-être. Ayez recours à du soutien psychologique au besoin. Le principe d’acceptation ne veut également pas suggérer que l’on doive se forcer à pardonner l’impardonnable. Le processus de pardon est un autre processus complexe en soi. Il s’agit plutôt de parvenir, éventuellement, à assimiler ces événements douloureux dans notre réalité en se déchargeant de la rancune, des regrets, de la culpabilité, de la haine et de la colère. Ces états deviennent parfois envahissants lorsqu’ils persistent dans le temps. »
S’accepter soi-même
L’acceptation est une attitude que l’on cultive autant face à ce qui se passe, qu’à ce que nous sommes. Nous nous efforçons « d’accepter » les situations bouleversantes auxquelles nous sommes confrontés en choisissant de court-circuiter les pensées non productives et en orientant notre énergie vers des actions qui sont en cohérence avec nos valeurs. Lorsque nous cultivons l’acceptation face à nous-mêmes, le principe est comparable: freiner les pensées dénigrantes et orienter nos efforts pour laisser place à l’indulgence, la bienveillance et l’humilité.
Il y a de grandes leçons d’humilité dans ce qui se passe en ce moment. Ceux qui ont perdu leur emploi ont eu à se redéfinir. Plusieurs de ceux qui sont restés en poste, notamment les premiers répondants et les professionnels de la santé, ont traversé le précipice de l’épuisement. Tout parent s’est senti à la fois « partout » et à la fois « nulle part ». Les gens heureux ont goûté à la dépression et à l’angoisse. Nous avons tous, à notre façon, étés affectés par les circonstances. La population entière a été confrontée à ses limites, malgré ses plus nobles intentions. Nos ressources adaptatives ont été sursollicitées. Nous partageons cette humanité commune de détresse et de souffrance.
Et si ce qui se déroule en ce moment était, indirectement, une invitation à l’humilité et la bienveillance collective ? Et si c’était une occasion d’effriter le culte de la perfection et du bonheur ? Plusieurs se sont violentés trop longtemps au travers de la quête de la perfection et du bonheur absolu. Il est temps de s’unir dans l’adversité, de nous accepter tel que nous sommes et de célébrer nos progrès et nos efforts. Dans son livre Se donner le droit d’être malheureux, le psychologue Marc-André Dufour normalise parfaitement l’imperfection et la détresse humaine : « L’humilité permet de regarder sa réalité sans jugement, telle qu’elle est, avec ses travers, mais aussi avec ses bons côtés. C’est humain d’être imparfait et de vivre des moments de doute et d’angoisse. C’est humain d’avoir des peurs irrationnelles. Vos failles ne font pas de vous des gens de seconde classe, bien au contraire. L’humilité permet de neutraliser la fameuse métaémotion de honte qui rend insupportables des situations certes douloureuses, mais qui sont inévitables. […] Si vous parvenez à diminuer votre désir de correspondre à une version idéalisée de vous-même et si vous acceptez vos souffrances et votre vulnérabilité, soudainement la crainte paralysante du jugement des autres perdra de son intensité. En laissant tomber vos masques de bonheur plaqué ou de stoïcisme d’apparat, vous ouvrirez des possibilités à d’autres êtres humains qui étouffent derrière ces mises en scène de la vie aussi parfaite qu’impossible ». Il cite les sages paroles de Leonard Cohen dans sa chanson Anthem : « There is a crack in everything. That’s how the light gets in » (« Il y a une fissure en toute chose, c’est ainsi qu’entre la lumière »).
La situation actuelle est foncièrement imparfaite et bouleversante à de multiples niveaux. Je n’argumenterai pas sur ce point. Malgré l’impuissance qui en découle, est-ce possible qu’elle nous mène vers une croisée des chemins ? Qu’elle nous offre un choix ? Le choix de résister en nous laissant être absorbés dans une frénésie de pensées douloureuses ou plutôt, le choix de cultiver l’acceptation, tel que ce concept a été décrit précédemment ? Le choix de réorienter nos pensées vers ce qui est bénéfique en ce moment ? Le choix de s’accrocher à l’impermanence de toute chose dans la vie ?
Mon rôle de psychologue m’amène à vouloir transposer ces questions vers le « soi » : Comment est-ce que le fait d’accepter l’imperfection du contexte actuel peut accroître la capacité à se donner le droit d’être imparfait comme humain? Cultiver l’acceptation de ce qui se passe à l’extérieur peut contribuer au processus d’apprentissage facilitant l’acceptation de ce qui trame à l’intérieur. Par ailleurs, cultiver l’acceptation de ce qui se passe à l’intérieur vous aidera à accepter d’avantage ce qui se déroule à l’extérieur.
Le plus grand voyage de la vie est celui de l’acceptation et je doute que nous parvenions à destination avant d’expulser notre dernier souffle…c’est un défi d’une vie entière. Je suis encore loin du but dans ce voyage, mais je le parcours avec vous.
Quelques idées de stratégies pour cultiver l’acceptation :
- Lorsque des circonstances pénibles ou bouleversantes surviennent, prenez soin de vous intéresser à ce que celles-ci éveillent sur le plan de vos émotions. Accueillez vos émotions avec curiosité, bienveillance et indulgence. Situez ces émotions dans votre corps (où les ressentez-vous ? Comment ?). Observez-les avec ouverture d’esprit (est-ce que les sensations se déplacent ? S’intensifient ? Diminuent ? Se transforment ?). Nommez-les et, peut-être, exprimez-les d’une façon adaptée (p. ex., pleurer, écrire, appeler un ami, vous défouler physiquement, etc.).
- Donnez-vous le droit de ne pas vous sentir bien, de commettre des erreurs ou de ne pas répondre à vos propres exigences élevées. Les épreuves, la souffrance et l’imperfection sont inévitables dans le parcours de la vie. Vous n’êtes pas seul à vivre ce que vous vivez. C’est humain et c’est correct.
- Lorsque l’impuissance est au cœur de votre expérience, demandez-vous : « Je n’ai pas de contrôle sur cet aspect de ma réalité en ce moment, mais sur quoi ai-je un pouvoir d’agir ? Comment puis-je aligner mes actions dans le sens de mes valeurs ? » Vous pouvez, par exemple, choisir de concentrer vos énergies et votre attention sur une activité qui vous fait du bien, sur une interaction avec personne qui vous est cher, sur votre respiration, etc.
- Lorsque vous constatez que votre esprit focalise sur un aspect négatif de votre expérience (ou de votre personne), efforcez-vous de prendre un pas de recul et d’énumérer tous les autres aspects qui composent votre réalité (Exercice du « ET » : « Oui, telle chose est désagréable, ET il y a aussi (nommez un élément neutre ou positif) dans ma vie, ET j’ai la chance d’avoir …ET…ET…ET… »).
- Faites une rétrospective de votre journée. Repassez en revue chaque étape de votre journée depuis le lever jusqu’au coucher. Remémorez-vous les beaux moments—aussi simples soient-ils—en ravivant les émotions agréables qui leur sont associées. Soulignez vos gratitudes.
- Pratiquez la pleine conscience. Par exemple, prenez des pauses VAKO dans votre journée : VAKO est un acronyme pour visuel (V), auditif (A), kinesthésique (K) et olfactif-gustatif (O). Énumérez cinq détails qui apparaissent dans votre champ de vision (V). Nommez cinq sons que vous entendez (A). Identifiez cinq détails kinesthésiques ou sensoriels tels des sensations physiologiques internes, des mouvements, des textures, la température, et cetera (K). Discernez cinq odeurs ou saveurs (O).
- Pratiquez la méditation. Ces pauses méditatives sont des occasions privilégiées d’aller à la rencontre de nous-mêmes, de nous accueillir tel que nous sommes et de nous ancrer dans le moment présent. Plus c’est le chaos, plus ça devient impératif de trouver une certaine stabilité, un refuge à l’intérieur de nous-mêmes.
- Évitez pour un temps ce qui envenime vos réactions de résistance et de non-acceptation face à ce qui se passe (p.ex., les médias, les réseaux sociaux, les débats d’opinions enflammés, etc.).
- Favorisez la connexion humaine plutôt que la division. Nous partageons tous la réalité inévitable qu’est celle d’être confrontés aux épreuves de la vie et à la souffrance humaine. Souriez aux gens sur votre passage. Appelez un proche qui se retrouve seul chez lui. Offrez de l’aide. Retenez les impulsions de critiquer les statuts publiés sur les médias sociaux. Soyez empathiques envers la détresse des gens. Même si vous ne les comprenez pas, vous pouvez toujours vous relier à la saveur de la souffrance.