Cet article est rédigé par Isabelle Soucy et est tiré du volume 003 de l’édition papier d’Infuse magazine : « Se reconnecter et adapter sa parentalité », que vous pouvez vous procurer sur notre boutique en ligne.
Vous préparez le souper. Alors que vous vous empressez d’assembler les ingrédients, les pensées se bousculent dans votre esprit : « Le changement de saison approche. On va devoir se procurer de nouveaux vêtements pour les enfants. Je pourrais aller magasiner samedi matin avant le cours de piscine ». Vous jetez un coup d’œil au calendrier mural. « C’est vrai, l’anniversaire de papa approche. Il faudrait bien planifier quelque chose pour le célébrer. » Et votre tête s’envole dans différents scénarios. « Qu’est-ce qu’on lui achèterait bien en cadeau? » L’esprit parcourt une panoplie d’options. Vous ouvrez le robinet pour remplir un pot d’eau. En le refermant, vous constatez que des petites gouttes rebelles s’échappent à intervalles réguliers. « Il faudra appeler le plombier. Une autre dépense imprévue… on va devoir se serrer un peu la ceinture. »
Et voilà que votre esprit incarne le rôle de gérant de famille, à manœuvrer mentalement les multiples préparatifs pour la soirée, la semaine, le mois.
Le soir venu, vous vous sentez exténué. « Mais pourquoi suis-je si fatigué? Je n’en ai pourtant pas mené plus large qu’à l’habitude… »
Le fardeau invisible de la charge mentale
Le concept de charge mentale fait référence à la « sollicitation constante des capacités cognitives et émotionnelles d’une personne, liée à la planification, à la gestion et à l’exécution d’une tâche ou d’un ensemble de tâches ».[1] Dans le contexte conjugal ou parental, il s’agit du fardeau que porte un individu à gérer la logistique familiale ou domestique au sein du groupe concerné : structurer les horaires, prendre les rendez-vous, planifier les repas, prévoir le matériel requis pour diverses activités, penser aux tâches quotidiennes à effectuer, gérer les finances, magasiner les assurances, structurer les listes d’articles à acheter, organiser les fêtes, anticiper les événements importants, définir les plans pour les vacances, préparer les valises, etc. Chacune de ces tâches se déroule dans notre tête. Elles sont donc imperceptibles. D’un regard externe, nous ne paraissons pas agités. Lorsque notre tête repose sur l’oreiller, nous avons l’air de baigner dans le calme, alors que notre expérience intérieure peut être tout le contraire – nous sommes bombardés de rappels quant aux multiples tâches à exécuter. Le jour, vivre dans le moment présent représente un défi monumental, tout comme aspirer à faire une chose à la fois. Ces tâches cognitives ajoutent un poids indéniable et une charge de stress additionnelle qui contribuent à la fatigue. En somme, la charge mentale nous prédispose à l’épuisement et au burnout parental.
Bien que l’équité s’installe dans les couples modernes quant aux tâches domestiques, les femmes assument encore aujourd’hui une plus grande part de cette charge cognitive. On peut penser que ceci découle de l’évolution de la race humaine : dans les sociétés anciennes de chasseurs-cueilleurs, les hommes étaient traditionnellement responsables de la chasse. Leurs ressources attentionnelles devaient donc être aiguisées et focalisées sur une seule cible : leur proie. Les femmes s’occupaient de la récolte, des enfants, des repas, de la confection de vêtements, et bien d’autres choses en même temps. Nous avons donc développé la capacité à jongler avec plusieurs tâches à la fois, autant concrètement que mentalement. Les tâches se sont toutefois multipliées au fil du temps…
Notre cerveau : l’ordinateur central
Imaginons notre cerveau comme étant un ordinateur hyper-performant. Au moment où je vous écris ces lignes, le logiciel principal activé sur mon ordinateur est Word. Dans mon cerveau, c’est le programme « rédaction d’article » qui mobilise mon attention. Bien que le logiciel Word soit le seul programme que je voie à l’écran, une multitude d’autres applications sont ouvertes, latentes ou invisibles et fonctionnent en arrière-plan. Elles grugent l’énergie de la pile. De manière comparable, alors que je me concentre consciemment sur la rédaction de ces lignes, mon esprit me bombarde de pensées non sollicitées, agissant telles des notifications agressantes qui réclament mon attention. Pour simplifier le concept de charge mentale, imaginez que votre ordinateur cérébral se consacre à la gestion de divers programmes en même temps et se fait déranger par plusieurs notifications aléatoirement, le jour comme la nuit. Ces tâches mentales s’accumulent et occupent parfois une place envahissante dans l’esprit de certaines personnes. C’est extrêmement énergivore.
Comment atténuer le fardeau de la charge mentale
- En prendre conscience
Dans un premier temps, il importe de reconnaître que ce fardeau mental existe. Il est très tentant de banaliser ses impacts ou de juger certaines tâches comme étant anodines : « Ça ne devrait pas m’affecter. Appeler le dentiste ne prendra que quelques minutes. » L’impact négatif de la tâche n’est pas nécessairement relié à l’exécution de la tâche en soi, mais bien au fait d’avoir à y penser. C’est le poids d’assumer la responsabilité de ne pas oublier.
- En parler avec son partenaire
Il est primordial d’aborder ce concept au sein d’une union ou d’un quelconque partenariat. Que vous soyez en couple, avec ou sans enfants, en garde partagée, en colocation avec une amie, il n’est pas rare qu’une dynamique déséquilibrée s’installe. L’un des deux partenaires tend à être plus prévoyant que l’autre. Il prend plus naturellement en charge certains aspects de la logistique familiale, conjugale ou domiciliaire. Il perçoit plus facilement ce qu’il y a à faire, alors que l’autre se mobilise volontiers sur demande : « Tu n’as qu’à me le dire! Fais-moi une liste et je le ferai. » La communication servira à mieux se comprendre l’un et l’autre dans sa réalité respective et à éviter bien des discordes.
- Se questionner sur soi
Prenons aussi conscience de notre part de responsabilité dans le maintien d’une telle dynamique. Lesquels de nos comportements peuvent avoir pour effet d’alimenter les comportements de l’autre? Avons-nous créé des précédents qui nous emprisonnent aujourd’hui? Sommes-nous peut-être trop avenants? Sacrifions-nous démesurément nos besoins? Hésitons-nous à demander de l’aide? Cherchons-nous à correspondre à l’image de la femme parfaite, la mère parfaite ou la conjointe parfaite? Nous acharnons-nous à nous conformer aux normes sociales associées à ces rôles, même si cela nous épuise? Prenons-nous en charge diverses tâches pour garantir qu’elles soient faites à notre goût? Est-ce que nos standards sont trop élevés? Est-ce rassurant pour nous de conserver le contrôle sur quand, comment et si les tâches sont réalisées? Évitons-nous à tout prix de déranger?
- Répartir les tâches en fonction des forces et des préférences
Peut-être êtes-vous un maître du budget, alors que votre partenaire adore faire des réparations dans la maison? Je vous invite à dresser un inventaire de toutes les catégories de tâches (concrètes et mentales) qui se doivent d’être accomplies dans une semaine typique. Ensuite, assoyez-vous avec votre partenaire et répartissez ces tâches en fonction de vos forces et préférences. Faites en sorte que chacun s’occupe de ses tâches respectives et n’a donc pas à se préoccuper de celles de l’autre. Pour les tâches moins plaisantes, vous pourriez choisir d’en alterner la responsabilité (par exemple, aux semaines ou aux mois). Dans un même ordre d’idées, déléguez aussi aux enfants de petites tâches ou des responsabilités toutes simples lorsque c’est possible. Une fois l’habitude intégrée, vous aurez moins à y penser.
- Déléguer et alléger la liste de tâches
Lorsque les ressources financières, familiales, sociales ou gouvernementales le permettent, j’encourage fortement d’avoir recours à de l’aide pour alléger la liste de tâches. Faire appel à un service d’entretien ménager à l’occasion peut représenter un grand soulagement. Les repas préparés, les légumes déjà coupés ou les plats de grand-maman peuvent faire toute la différence. Peut-être pouvez-vous engager une gardienne pour divertir les enfants pendant que vous vaquez à d’autres occupations? Si vous avez de la famille à proximité, pouvez-vous solliciter leur assistance? Pourriez-vous organiser des échanges de services avec des gens de votre quartier? Il existe fort probablement des services communautaires, publics ou privés dans votre région qui peuvent vous donner un précieux coup de main[2]. Des subventions peuvent aussi exister pour vous assister financièrement, selon votre condition et vos besoins. Il peut également être pertinent, dans la mesure du possible, de réduire la charge de travail sur le plan de l’emploi durant la période où les enfants sont plus demandants (par exemple, terminer les journées de travail plus tôt, travailler une journée en moins, travailler à temps partiel pour un temps, éviter de ramener du travail à la maison, etc.). N’oubliez pas qu’il faut tout un village pour élever un enfant. Dans nos sociétés plus individualistes, nous oublions facilement cette vérité et nous essayons d’être ce village à nous seuls. Naturellement, cela mène droit vers le surmenage et l’épuisement.
- Technique des trois piles
S’il vous est difficile d’atténuer le sentiment d’urgence d’accomplir tout ce qui se retrouve sur votre liste de choses à faire, prenez un moment pour vous pencher sur l’exercice des trois piles. Sur une feuille de papier, dessinez trois colonnes. Dans la première, inscrivez-y tout ce qui est urgent. Dans la seconde, tout ce qu’il serait utile de faire, mais qui est non urgent. Dans la dernière, tout ce qui est non urgent, non nécessaire, mais que, dans un monde idéal, vous aimeriez accomplir (par exemple, le scrapbook de bébé). Ensuite, partagez cette liste avec une personne proche de vous pour voir si elle a la même perception des choses. Finalement, voyez s’il est possible de déléguer certaines tâches sur votre liste.
- S’offrir des moments pour décrocher
Nous pouvons facilement nous perdre dans nos listes de tâches, au risque de nous éteindre (personnellement et conjugalement). La vie devient lourde de responsabilités. Je n’insisterai jamais suffisamment sur l’importance de parsemer des occasions pour décrocher dans notre quotidien, pour fermer les programmes de l’ordinateur. Incorporez des moments de plaisir, de jeu, d’humour, de repos et de légèreté à vos journées. Trouvez des activités facilement accessibles à faire en famille (par exemple, jeux de société, bricolages, expériences en famille, soirées de cinéma, etc.). Ciblez également des activités personnelles qui vous font du bien (par exemple, jouer d’un instrument de musique, lire, faire un casse-tête, tremper dans un bain moussant, écouter une relaxation guidée[3], etc.). S’il vous est difficile de décrocher à la maison, prévoyez des escapades à l’extérieur qui vous aident à prendre une distance avec votre liste de tâches. Allez faire une randonnée, visitez une ville avoisinante, arrêtez voir un ami ou planifiez un pique-nique.
Invitation à la bienveillance
Nous vivons dans une société à haute vitesse, axée sur la performance. Bien qu’elle soit abstraite et invisible, la charge mentale est bien réelle et dommageable. Protégeons-nous-en, ménageons-nous. Par la même occasion, nous enseignerons à nos enfants comment composer sainement avec cet obstacle à notre bien-être. Nous leur montrerons qu’il est possible de vivre une vie bien riche, douce et harmonieuse, en dépit d’une liste interminable de tâches. Des tâches, il y en aura toujours. Notre vie, seulement une à vivre. Organisons-nous pour la savourer autant que possible. Créons les conditions favorables pour que notre ordinateur central puisse mettre en mode veille le logiciel « Charge Mentale », au moins de temps en temps.